Au-delà de la pensée binaire.

La logique est certainement la chose la plus indispensable dans notre vie de tous les jours, elle est un élément essentiel à notre manière d’appréhender le monde. C’est elle qui permet à nos cerveaux d’aborder les problèmes de manière organisée et structurée, pour ensuite y remédier en déduisant des solutions.

Observons différentes formes de logique. Celles-ci nous permettront peut-être d’étendre l’éventail des représentations que nous nous faisons de notre réalité.

La logique binaire

Le mot « logique » nous vient du Grec ancien, il signifie la raison, le langage et le raisonnement. La raison nous permet de fixer des critères de « vérité » et « d’erreur » et d’évaluer une problématique avec nos propres valeurs morales. Ces critères sont mis en forme par le biais du langage, ces deux références combinées formant les fondements de nos raisonnements.

De nos jours, la logique linguistique la plus utilisée est la logique  « aristotélicienne », elle se base sur une logique bivalente (à deux valeurs) et prend comme règle fondamentale le principe du « tiers exclu ». Cela signifie qu’un troisième choix ne peut pas entrer dans l’équation, le choix s’ancre sur deux solutions possibles (« vrai » ou « faux »), un troisième choix ne peut exister. Ainsi, notre structure linguistique s’ancre sur cette logique et en définitive,  influe sur la manière dont nous conceptualisons le monde.

La notion de « bien » et de « mal » en est le parfait exemple, il ne s’agit ni plus ni moins d’une approche linguistique binaire sur laquelle nous construisons nos concepts moraux.

Un nombre incalculable de cas de ce type se retrouve très facilement dans notre quotidien. Par exemple, le cinéma exploite à merveille cette logique binaire, la notion de « gentils » s’opposant aux « méchants » se retrouve quasi systématiquement. Le jour mis en opposition à la nuit est aussi révélateur, car la réalité n’est pas aussi simple, bien entendu, nous avons d’autres mots pour exprimer les moments d’une journée, mais le raccourci dualiste vient presque naturellement à l’esprit.

 Le dualisme – qui est une résultante de la logique binaire – est aussi utilisé dans des contextes majeurs, comme pour le cas des conflits armés. Souvenez-vous de G.W Bush qui prononçait, à la veille des deux guerres déclenchées en Irak et en Afghanistan le terme « d’axe du mal », en opposition à « l’axe du bien » qui, bien entendu était utilisé pour qualifier le « camp » occidental. La posture guerrière est l’utilisation caricaturale de la logique binaire, soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. Par ce biais nous pouvons nous qualifier de « gentils » et décrire le camp adverse comme « méchant ». Ce processus pernicieux nous force malgré nous à observer le monde géopolitique de manière extrêmement simpliste. Il y a les gentils, il y a les méchants et chacun imagine que tel ou tel gouvernement fait partie d’un côté ou de l’autre.

(Ceci n’est qu’un exemple de la pensée bivalente est n’est en rien représentatif de la situation géopolitique actuelle. Selon le point de vue, les « camps » peuvent très bien s’inverser mais le raisonnement sera tout aussi faux).

La logique bivalente est toute simplement archaïque, car elle simplifie nos raisonnements à l’extrême. Elle nous permet par exemple de définir un individu sur un ou deux traits de son caractère et d’extrapoler ainsi en faisant des coupes sombres sur la complexité de sa personnalité. Voici la vraie limite de cette logique, elle est incapable de définir des choses complexes avec précision.

Gardons à l’esprit que les facteurs qui déterminent notre monde sont nombreux et complexes, les aborder avec sincérité mérite donc l’utilisation d’une observation aussi précise que subtile. Il est probable que cette logique bivalente réduise grandement nos raisonnements, cela se remarque quand on fait à notre insu des raisonnements dualistes, manichéens, simplificateurs, amalgamant, etc.

En réalité, l’absence de nuance est la (limite) de la pensée bivalente.

 (Voir le monde en logique binaire, c’est voir le monde en noir et blanc sans aucune nuance de teintes ni de couleurs).

Au-delà de la pensée binaire

Les problématiques systémiques actuelles nous obligent pourtant à devoir réfléchir autrement, à envisager les solutions sous un autre angle, à penser « hors du cadre ». Cette capacité que nous avons à pouvoir envisager le monde d’une autre manière est primordiale et nous devons impérativement la développer si nous voulons concevoir et imaginer des choses nouvelles. Certes, la logique n’est qu’un des paramètres nous y emmenant, mais il s’agit d’un paramètre relativement important, car notre logique nous permet de concevoir le monde qui nous entoure, juste ça !

Imaginez votre raisonnement comme un plan, ce plan vous permet de vous faire des images mentales des choses qui vous entourent. Construire ce « plan » avec une logique binaire serait comparable à une construction en 2 dimensions, or cela n’est pas suffisant pour décrire un monde multidimensionnel, il va nous falloir nécessairement plus de « dimensions » sur notre plan.

La logique tétravalente

Il s’agit d’une forme de logique qui « complète » celle de la logique bivalente, je dirais même qu’elle en est l’extension. C’est un peu la partie 2.0 de la logique, car elle permet d’aller un peu plus loin et d’offrir d’autres perspectives d’analyses et de compréhensions. Vous en n’avez peut-être jamais entendu parler, pourtant vous l’exercez naturellement.

Son fonctionnement est basé sur 4 valeurs, contrairement à la logique basée sur deux valeurs [VRAI] ou [FAUX].

La logique tétravalente se base sur les valeurs suivantes:

[VRAI]

[FAUX]

[VRAI] ET [FAUX]

NI [VRAI] NI [FAUX]

Au premier abord, on pourrait se dire que c’est très sympathique tout ça, mais à quoi ça sert ? Bonne question ! Et bien, à rien du tout. ?

Bien évidemment, cette logique a une utilité forte dans l’analyse que nous faisons d’une problématique. Car elle permet de concevoir qu’une chose peut être vraie et fausse en même temps ou au contraire, ni vraie, ni fausse. On l’utilise régulièrement en utilisant le fameux « oui et non », cela permet une certaine souplesse de raisonnement que la logique binaire ne permet pas.

Prenons l’exemple d’une projection dans un futur lointain, en réalité personne n’est capable d’être certain de ce qui va arriver, la logique tétravalente permet justement de ne pas prendre un point de vue tranché et permet de reconnaitre l’incertitude comme une possibilité. De plus la notion de simultanéité du [VRAI] et du [FAUX], permet de prendre en compte les points de vues contradictoires comme une possibilité, ce qui n’est pas le cas de la logique bivalente. Car cela va à l’encontre du principe de « non-contradiction » dans lequel une chose ne peut être vraie et fausse à la fois Le paradoxe du menteur démontre la limite de la pensée bivalente, juste le fait de dire « je mens » est en effet à la fois vrai et faux en même temps, car si je mens et que je dis la vérité, je ne mens pas.

En bref, la logique tétravalente permet de prendre en compte deux autres notions dans notre raisonnement, l’incertitude et la contradiction.

– Biva: « Tu préfères mourir brulé vif ou manger par des insectes ? »

-Tétra: « Aucun des deux ! »

-Biva: « Mais imaginons que tu dois choisir et que tu n’as pas le choix. »

-Tétra: « Alors, je prends les deux juste pour t’embêter ! »

-Biva: « … « 

La logique temporelle

La logique temporelle est un des éléments clés, permettant de franchir un cap conceptuel dans notre logique. Elle permet en effet de rajouter encore une autre dimension à notre raisonnement et non des moindres, celle du temps. En effet, une chose peut tout à fait être exact à un instant t et être inexact à un autre instant t. Ce paramètre est très souvent mis de côté dans le jugement que l’on se fait des autres. Nous voyons les personnes telles qu’elles sont à l’instant t où nous les rencontrons, sans forcément connaitre leur passé, ni leur futur. De ce fait, le jugement que nous faisons sur eux sera obligatoirement basé sur UN instant t, ne prenant pas en compte l’ensemble des instants qui ont influencés ou qui influenceront ses comportements.

Cette logique permet d’envisager le monde de manière dynamique et évolutive. Si nous comparons un fleuve à l’évolution d’un individu dans le temps, il nous faudra comprendre le fleuve dans son ensemble pour avoir une réelle vision de ce qu’il est vraiment – ce qui est difficilement faisable – car nous n’avons qu’une vision partielle de ce fleuve. Notre analyse ne peut s’appuyer que sur le passé et le présent de ce fleuve et une somme gigantesque de facteurs déterminent son conditionnement.

(Comment peut-on faire un jugement sur une personne que l’on vient de rencontrer s’il nous manque l’essentiel des données – c’est à dire le passé de cette personne – sans parler de toute la partie non visible qui pourrait être rattachée au subconscient d’une personne ou à une multitude d’éléments manquants pour un observateur extérieur).

A mon sens, la logique temporelle ne nous permet pas d’émettre des critères de « vérités » et « d’erreurs », elle permet juste de conceptualiser les autres formes de logique dans la dimension temps. C’est elle qui nous permet de voir le monde en mouvement, de faire des projections et de ne pas rester bloqué dans une vision statique du monde.

Principe de causalité

Pour aller encore plus loin et compléter la logique temporelle, le principe de causalité sera l’élément parfait. Ce principe est un peu prêt connu de tout le monde, il est lié à la notion de cause à effet. Cette logique part du principe qu’il y a une ou plusieurs cause(s) qui rentrent en compte dans le ou les effet(s) de l’état d’un objet, d’un phénomène ou d’une situation. Dit comme ça, on pourrait croire que c’est un peu complexe, je vous rassure, ça ne l’est pas qu’un peu.

Pourtant, ceci est assez évident à comprendre pour les objets dont on connait l’histoire temporelle, car il est plus facile de comprendre qu’un objet est dans tel état, si l’on a connaissance de ce qu’il s’est passé dans la vie de cet objet. Le cerveau n’a ainsi pas besoin de faire appel à l’imaginaire et peut logiquement retracer le chemin parcouru dans le temps par l’objet pour qu’il en arrive à cet état précis, à un moment donné. Ainsi, toutes les choses dont on ne connait pas réellement l’historique peuvent échapper à la logique de cause à effet, même si ces choses sont extrêmement logiques et déductives. Chose aussi intéressante, cette logique permet à l’inverse de déterminer l’état d’un objet, d’un phénomène ou d’une situation dans un avenir proche en inversant le processus.

Ex: « Je sais que si je lâche une pomme se trouvant dans ma main, elle tombera ».

Si je connais les causes, je connais ainsi les effets avant qu’ils ne se produisent. Vous me direz, oui, c’est bien beau, mais quel est le rapport avec la logique binaire ? Et bien tout simplement que ce principe permet de bien mieux comprendre les raisons pour lesquelles l’état d’un objet  est tel qu’il est. Cela permet d’approfondir l’image de ce qu’on observe dans toute sa complexité et sa beauté. Mais pour cela il faut effectivement connaitre et comprendre les causes qui régissent l’état de l’objet que vous observez, sans ça, vous ne pouvez comprendre ce que vous observez, vous ferez soit des raccourcis de pensées « ça doit sans doute être ça » ou des jugements expéditifs.

En bref, la simplification à l’extrême de la logique binaire reviendra au galop. À mon sens, la posture la plus censée quand on parle d’une chose dont on ne connait pas vraiment les causes est de dire « je ne sais pas » et de ne surtout pas faire de jugement de valeur hâtif.

Apprécier les points de vues

Pour terminer en beauté, abordons la posture des points de vues. Ils ne fonctionnent pas seulement par le biais d’un raisonnement entre soi et soi même, mais doivent impérativement prendre l’avis d’autres points de vues. Pour cela, il va falloir ouvrir en grand nos  « neurones miroirs » (appelés aussi par certains scientifiques  » neurones empathiques »). Vous l’aurez compris, il va falloir s’ouvrir à l’autre et échanger nos points de vues avec ceux de nos interlocuteurs, jusqu’ici, rien d’incroyable.

Cependant, il nous faudra complètement effacer ou atténuer nos anciens réflexes causés par la logique binaire « j’ai raison – tu as tort », pour véritablement apprécier les points de vues. Non seulement il faudra faire cet exercice extrêmement difficile pour certaines personnes étant habituées à fonctionner ainsi, mais qui plus est, il sera aussi nécessaire de nous détacher des images préconçues que nous nous faisons de la personne en face de nous. C’est à dire prendre en compte notre logique temporelle et le principe de causalité, qui ne nous permettent pas d’émettre le moindre jugement sur la personne que l’on a en face de nous si l’on est véritablement sincère dans notre démarche. Ainsi, l’on pourra s’initier à l’amélioration de notre propre raisonnement par le biais des autres.

Ce processus est en effet indispensable, car notre point de vue que l’on pense être « VRAI », ne l’est pas souvent en réalité. Tout simplement, car une multitude  de données nous manque et ces paramètres qui nous échappent biaisent nos raisonnements. Élargir son point de vue ne veut pas dire « croire » sur parole, mais être en contact avec d’autres réflexions, d’autres manières d’envisager les problèmes et les solutions, d’autres chemins auxquels  notre cerveau n’aurait pas eu accès. Cela peut s’apparenter à une posture humble quant a notre capacité d’analyse et de compréhension.

Toutes ces différentes logiques et manières d’exploiter notre raisonnement s’imbriquent les unes aux autres et pourront permettre une vision certainement plus large et plus précise du monde qui nous entoure. La logique binaire n’est pas mauvaise en soi, elle est juste dépassée, donc à nous d’envisager le monde sous d’autres angles, d’autres manières d’envisager les problématiques et les solutions. La créativité fera le reste.

Pour réellement finir, je tenais à vous préciser que cet article n’est qu’un point de vue parmi tant d’autres, qu’il est donné à l’appréciation  de chacun, qu’il peut être considéré comme [VRAI] ou [FAUX] ou même [VRAI] et [FAUX] en même temps, voir peut-être, ni l’un, ni l’autre.

. Ceci étant, j’espère quand même vous avoir apporté certaines pistes de réflexion que vous pourriez mettre concrètement en application dans votre vie quotidienne.

P.S : Pour vous rendre réellement compte de l’omniprésence de la pensée binaire dans nos raisonnements, essayez de compter le nombre de raisonnements binaires que vous effectuez en une journée, vous verrez, c’est affolant.

Source (Stéphane Hairy)

Philippe🕊️